Cérémonie de dévoilement d’une plaque dans l’hémicycle en mémoire de M. Hubert Germain

Mercredi 19 janvier

Hémicycle de l'Assemblée nationale
Seul le prononcé fait foi

Messieurs les Premiers ministres,
Mesdames et messieurs les ministres,
Messieurs les présidents,
Madame et messieurs les vice-présidents, 
Madame et monsieur les questeurs, 
Mesdames et messieurs les membres du Bureau,
Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,
Monsieur le Délégué national de l’Ordre de la Libération,
Monsieur le préfet de la région Île-de-France,
Monsieur le maire de Grenoble, madame l’adjointe au maire de Paris,
Monsieur le Gouverneur militaire de Paris,
Monsieur le Gouverneur des Invalides,
Monsieur le colonel commandant la place militaire du Palais-Bourbon,
Messieurs les secrétaires généraux,
Mesdames, messieurs,
 
« L’honneur, c’est la poésie du devoir », affirmait Alfred de Vigny. Comme s’il avait voulu donner raison à l’auteur de Servitude et grandeur militaires, Hubert Germain fut de ces poètes du devoir pour qui l’honneur n’avait rien à voir avec les honneurs, rien à voir avec les convenances ou le conformisme : il fut l’un de ces paladins modernes pour qui la fidélité à un idéal l’emporta sur toutes les contingences.

Car l’officier maintes fois honoré et décoré, l’ancien député et ancien ministre, le vénérable centenaire qui nous a quittés le 12 octobre dernier, nous devons d’abord nous le figurer sous les traits de ce jeune homme romantique qui, passant le concours d’entrée de l’École navale en juin 1940, à Bordeaux, réalise l’inanité d’un tel examen en pleine débâcle, rend copie blanche et s’en va. « Je pars faire la guerre que vous avez perdue », lance-t-il par défi à l’examinateur.

L’honneur, Hubert Germain a grandi dans son éthique. N’est-il pas fils d’officier, fils d’un polytechnicien qu’il a suivi à Paris, Damas, Hanoi, avant que celui-ci accède au grade de général ? L’Histoire est ironique, nous le savons : au lendemain du 6 février 1934, quand Hubert n’avait que 13 ans, Maxime Germain son père entrait au cabinet de Philippe Pétain, alors ministre de la Guerre du gouvernement Doumergue. 

C’était encore la République, mais fragilisée sur ses bases, au moment où montait, à l’intérieur comme à l’extérieur, la menace totalitaire.

Six ans plus tard, Hubert Germain a 19 ans quand le désastre militaire, le déferlement de l’Allemagne nazie sur Paris et la France stupéfient le monde ; mais le jeune homme veut se battre. Il pense que la République française, depuis l’Afrique du nord, continuera la guerre. Un officier d’état-major, ami de son père, lui ouvre les yeux : Pétain a signé l’armistice, la guerre semble perdue.

Alors, voici ce jeune homme fougueux à Saint-Jean-de-Luz d’où, avec deux autres Français, il parvient à s’embarquer sur un navire transportant des soldats polonais. Destination : Londres.

« La grandeur est un chemin vers quelque chose qu’on ne connaît pas », écrira le général de Gaulle. Ce fut ce chemin ardu, incertain, aventureux, que choisit d’emprunter Hubert Germain, comme quelques autres, au début si peu nombreux. Les combattants de Narvik, les pêcheurs de l’île de Sein, quelques officiers, soldats, techniciens et volontaires, hommes et femmes, qui allaient écrire l’épopée de la France libre.

Sur ce chemin s’engagèrent les 1 038 héros plus tard distingués par l’Ordre de la Libération. Avec eux, à leurs côtés, Hubert Germain connut la dure condition des exilés, la fièvre des combats.

Dans cette aventure, il goûta tout particulièrement « la diversité sociale » de ces engagés volontaires. « Il pouvait y avoir le petit agriculteur, l’ouvrier mécanicien et le grand aristocrate ; aucune rivalité n’existait », témoignera-t-il. « Le sang de l’un valait autant que celui de l’autre. En matière de sentiment religieux, c’était pareil : il y avait des juifs, des catholiques, des protestants, des agnostiques, des musulmans. Aucune rivalité non plus. On était dans une aventure qui nous dépassait et nous pouvions regarder le ciel ensemble, avancer sur le terrain de l’infini ensemble. »

Oui, c’est cela, la France : le ciel ensemble, l’infini ensemble, par-delà les distinctions de la naissance et des croyances que nous pouvons toujours dépasser, si nous avons foi en notre destin commun, si nous aimons notre démocratie. 

Et tandis que Pétain et le pétainisme distinguaient entre bons et mauvais Français, abdiquant toute dignité dans la mise en œuvre de l’antisémitisme d’État, les combattants de la liberté s’armaient de leurs différences pour en forger le solide alliage de l’unité nationale.

À l’intérieur, les réseaux de la Résistance se renforçaient et se tournaient vers Londres, au fur et à mesure qu’à l’extérieur, les exploits des Français libres restauraient l’espoir. En Syrie d’abord, Hubert Germain compta parmi ces combattants qui bousculèrent l’armée du régime collaborationniste. 

Puis ce furent l’Égypte, la Libye, la Tunisie, l’Italie, combattant avec les Alliés les troupes du Reich hitlérien et de Mussolini, dans ces moments de vérité que furent El Alamein, Bir Hakeim, le Garigliano… Des noms inscrits en lettres de feu sur la bannière de la grande Histoire, et pourtant, au soir de sa vie, Hubert Germain qui les avait vécus se considérait modestement comme « un petit point de rencontre », ajoutant : « J’ai été au croisement de nombreuses personnes, au croisement de nombreux événements. Je n’ai aucun mérite, mais j’ai été heureux… »

Heureux sous les bombes, heureux au feu, il l’a été pour avoir fait son devoir, au péril de sa vie. Car Hubert Germain fut de « la 13 », comme on surnomme familièrement la mythique 13e demi-brigade de Légion étrangère, que les historiens militaires nomment plutôt « la Phalange magnifique ».

Cette force fait bientôt partie de la 1re Division Française Libre, Hubert Germain gagne ses galons parmi ces « clochards de la gloire » qui, manquant de tout, sauf de courage, vont inviter la France libre parmi les vainqueurs.

Après l’Afrique du Nord et la campagne d’Italie, durant laquelle il est sévèrement blessé près de Pontecorvo, Hubert Germain participe au débarquement en Provence. Puis la 1re DFL remonte le Rhône jusqu’à Lyon, libère l’Alsace, se bat sur l’Authion, dans les Alpes du Sud. 

En 1945, en gare de Cannes, le jeune héros retrouve son père, dont le patriotisme avait paru suspect à l’occupant. Arrêté par la Gestapo en 1944, déporté au château d’Eisenberg, le général en retraite n’est plus qu’un vieillard décharné quand il revient mais il rayonne de joie et de fierté lorsqu’ il serre dans ses bras son fils, décoré quelques mois plus tôt de l’insigne vert et sable de l’Ordre de la Libération. La Croix de guerre avec palmes, la médaille de la Résistance avec rosette, et plus tard la Légion d’honneur ainsi que plusieurs décorations étrangères viendront encore émailler ce parcours glorieux.

Aide de camp du général Kœnig, qui dirige les troupes françaises d’occupation en Allemagne, le lieutenant Hubert Germain ne retourne à la vie civile qu’en 1946.

C’est enfin la paix. Or, comme beaucoup de héros démobilisés, il peine à reconstruire sa vie. Il travaille, pour lui, pour sa famille, mais il sait que pays tout entier reste à rebâtir et il s’engage en politique.

Gaulliste, il est élu en 1953 maire de Saint-Chéron, petite commune de Seine-et-Oise à l’époque, aujourd’hui dans l’Essonne. Il le restera jusqu’en 1965.

Aux débuts de la Cinquième République, Hubert Germain échoue aux sénatoriales de 1959, mais on le croise bientôt dans les couloirs du Palais-Bourbon, comme conseiller parlementaire du ministre des Armées, Pierre Messmer – un ancien de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, un vétéran de Bir Hakeim, lui aussi. 

Aux législatives de 1962, Hubert Germain est élu à Paris, dans la 14e circonscription qui recouvre une partie du XIIIe arrondissement. Le combattant devient homme de dossiers. S’il bataille, c’est maintenant avec les chiffres, comme rapporteur spécial de plusieurs crédits militaires : ceux de l’Air pour les budgets de 1963 et 1964 ; ceux de l’Armement et de l’Équipement pour les budgets de 1965 à 1967. Il est aussi rapporteur spécial sur les sociétés nationales de construction aéronautique, durant l’examen du projet de loi de finances pour 1964, puis rapporteur du projet de loi de programme relatif aux équipements militaires pour la période 1965-1970. 

En ces temps de guerre froide, le député Hubert Germain défend la construction de la force de dissuasion, dans ses trois composantes. Et si l’ancien soldat de la France libre a surtout combattu au sol, c’est en spécialiste et en stratège qu’il analyse ici, dans cet hémicycle, les dossiers complexes des chasseurs et bombardiers Mirage III et IV, des hélicoptères lourds et des nouveaux missiles. 

La sécurité de la France, le souci de sa puissance et de sa capacité à maintenir la paix, telles sont les préoccupations de ce parlementaire assidu et travailleur qui n’ignore rien non plus des chars AMX 30 ou de l’avion d’attaque Jaguar, issu de la coopération franco-britannique.

Cette activité l’éloigne peut-être de ses électeurs, puisqu’il est battu au second tour des élections législatives de 1967. Mais le combattant qu’il est resté reconquiert sa circonscription l’année suivante, après la dissolution de 1968, par près de 55 % des voix, « dans un esprit d’union nationale et de large tolérance », écrit-il dans sa profession de foi du second tour.

Il retrouve la commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan. Membre de la délégation française à l’Assemblée de l’Atlantique Nord, vice-président du groupe d’étude de l’Aviation civile, Hubert Germain redevient le rapporteur spécial des crédits d’équipement de la Défense.

Le départ du général de Gaulle, en 1969, l’affecte profondément. Celui qu’il considérait comme un « second père », depuis 1940, lui semble irremplaçable et il n’est pas proche de Georges Pompidou.

Comme ses amis de Présence et Action du gaullisme, Hubert Germain adhère encore moins au projet de Nouvelle Société qu’esquisse Jacques Chaban-Delmas. 

Il sait pourtant que le monde a changé, que les critères de la puissance évoluent, que la modernisation économique est à l’ordre du jour.

Il songe aussi à ceux qui sont tombés, à ceux qu’il a tués, aux horreurs de la guerre, à la nécessité de construire un ordre mondial qui garantisse la paix.

Et voici qu’à l’été 1972, son compagnon d’armes Pierre Messmer devient Premier ministre du président Pompidou, proposant à la majorité le projet d’une « société plus juste, plus responsable et plus humaine ». Hubert Germain est mobilisé : nommé ministre des Postes et Télécommunications, il travaille à moderniser son secteur. Il accélère la mécanisation du tri postal, améliore les moyens d’acheminement, automatise les centres de chèques postaux, féminise l’encadrement et surtout, s’efforce de rattraper le retard pris par la France dans le domaine crucial de la téléphonie.

Réélu de justesse aux législatives de 1973, à huit voix près, Hubert Germain retrouve son ministère dans le deuxième gouvernement Messmer et poursuit son action réformatrice. Il est fier de pouvoir constater que les PTT, sous sa tutelle, deviennent le premier investisseur de France.

À la mort du Président Pompidou, Hubert Germain compte parmi les gaullistes qui, avec Jacques Chirac, appellent à voter pour Valéry Giscard d’Estaing. 

Du 5 mars au 27 mai 1974, il est un éphémère ministre chargé des Relations avec le Parlement dans le troisième cabinet Messmer. Du 13 avril au 27 mai 1974, il assure en outre l’intérim au ministère des PTT, dont Jean Royer, candidat à la présidentielle, a démissionné.

Tout en conservant, au sein du mouvement gaulliste, des responsabilités nationales jusqu’en 1980, Hubert Germain n’aura plus de mandats ni de ministères après la présidentielle de 1974. 

Il n’en reste pas moins très actif, dans le monde de l’entreprise comme dans ses engagements humanistes.
Le rebelle de 1940 devient ce sage que nous avons connu et admiré, membre du conseil de l’Ordre de la Libération à partir de décembre 2010.

Les années passent, les rangs s’éclaircissent, mais Hubert Germain continue de lutter. Son dernier combat sera celui de la mémoire et je me réjouis qu’en ce jour où la représentation nationale lui rend hommage, en apposant une plaque au dernier siège qu’il a occupé dans l’hémicycle, un détachement de jeunes du Service national universel soit ici présent pour assurer la transmission du souvenir.

Après le décès de Fred Moore en septembre 2017, puis de Jacques Hébert en janvier 2018, Hubert Germain demeure le dernier des 66 députés Compagnons de la Libération encore en vie.

Le 11 juin 2018, lors d’une prise d’armes aux Invalides, il est élevé au grade de Grand-Croix de la Légion d’honneur par le président de la République.

En 2020, pour le quatre-vingtième anniversaire de l’Appel du 18 juin, il est nommé membre honoraire de l’Ordre de l’Empire britannique. Après le décès de Daniel Cordier, le 20 novembre 2020, il est le dernier Compagnon de la Libération.

Chancelier d’honneur de l’Ordre, célébré aux Invalides le 11 juin 2021 pour l’anniversaire de la bataille de Bir Hakeim, il s’est éteint quatre mois plus tard. Comme l’avait souhaité le général de Gaulle, l’ultime survivant des Compagnons de la Libération a été inhumé le 11 novembre dernier au Mont-Valérien, après un dernier hommage sous l’Arc-de-Triomphe.

« Quand le dernier d’entre nous sera mort, la flamme s’éteindra, disait Hubert Germain. Mais il restera des braises. Et il faut aujourd’hui en France des braises ardentes ! »

Ces braises, à nous de les entretenir, de les faire rougeoyer, parce que la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. C’est l’objet de cette cérémonie à laquelle je vous remercie de participer. 

Une plaque dans l’hémicycle, j’en ai conscience, c’est fort peu de chose, en comparaison des services rendus à la Nation par un grand citoyen comme Hubert Germain. Mais cette modeste plaque va inscrire pour toujours son nom, dans l’enceinte où se réunit l’Assemblée nationale, qui ne l’oubliera pas.

À cent ans, Hubert Germain publiait en guise de testament un livre de souvenirs au titre éclairant : Espérer pour la France.

C’est exprimer en peu de mots ce qui nous anime tous ici, au-delà des appartenances politiques. Pour la France, nous espérons avec lui le meilleur. 

Hubert Germain, notre ancien collègue, dernier Compagnon de la Libération, nous admirons votre exemple, nous saluons votre mémoire. Et, à travers vous, nous sommes fiers de rendre hommage, en 2022, à toutes celles et à tous ceux qui ont su dire « non » au nazisme. 

Je vous remercie.


 

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