Mercredi 23 mars 2022
Discours
Discours
Discours de Richard Ferrand à l'occasion de l'intervention de M. Volodymyr Zelensky, Président de l’Ukraine, dans l'hémicycle
Lundi 14 février
Salle Lamartine
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,
Mesdames, messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir pour ce colloque sur l’application du droit voisin au bénéfice du secteur de la presse.
Il me semblait en effet essentiel de mettre en lumière ce sujet, qui me paraît fondamental, et de donner la parole aux acteurs concernés, afin de présenter les analyses des uns et des autres.
Ce colloque prend la forme de deux tables rondes, réunissant des journalistes, des représentants des éditeurs et agences de presse, de Meta (anciennement Facebook), de Google, de la Commission européenne, du Parlement européen, de l’Autorité de la concurrence et de l’organisme allemand de gestion collective Corint Media. Il était en effet important d’avoir aussi une vision comparative des pratiques au niveau européen. Madame la ministre de la Culture conclura le colloque, en donnant la vision de l’exécutif.
Le droit voisin représente un véritable enjeu démocratique, mettant en jeu le pluralisme de l’information, c’est-à-dire la pluralité et la variété des sources et des organes d’information.
Le droit voisin est donc fondamental pour la liberté et la survie de la presse. Je sais que nos citoyens sont attachés à la presse, à sa liberté et à son indépendance. De même, l’Assemblée nationale, dans sa diversité politique, a exprimé à plusieurs reprises son soutien au secteur de la presse.
Le droit voisin, expression de prime abord peu compréhensible, est une innovation juridique visant à protéger la presse de l’utilisation non rémunérée du travail des journalistes, éditeurs et agences de presse par les plateformes numériques.
Cet outil juridique doit permettre de rééquilibrer économiquement un secteur bouleversé par le transfert massif des revenus publicitaires de la presse écrite vers les acteurs du numérique, et de compenser les investissements consentis par les éditeurs et les agences de presse.
Vous le savez, la presse est très durement touchée par la transition numérique. Entre 2006 et 2019, elle a vu en treize ans son chiffre d’affaires chuter de 11 à 6,2 milliards d’euros, soit – 43 %. Les recettes publicitaires de la presse imprimée sont tout spécialement attaquées, puisqu’elles sont passées de 5 milliards d’euros en 2000 à 2 milliards en 2020.
Le marché de la publicité s’est transféré sur internet, qui est passé de 1,4 à 4 milliards d’euros de recettes.
Or, ce transfert semble s’être opéré au profit de plusieurs plateformes captant la quasi-totalité des revenus publicitaires en ligne. Google et Facebook, à eux seuls, représenteraient 75 % du marché de la publicité en ligne.
La directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique a créé, au profit des éditeurs de presse, un droit voisin du droit d’auteur. L’article 15 de la directive a prévu que les éditeurs de publications de presse disposent du droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction ou la mise à disposition du public de leurs publications par un service en ligne, et ce, pendant deux ans à compter du 1er janvier suivant la première publication de l’œuvre en question. Il doit permettre l’émergence, à travers une redevance ou une licence octroyée en échange de l’autorisation des éditeurs, de nouveaux revenus au profit des éditeurs.
La France a été le premier pays européen à transposer la directive. Issue d’une proposition de loi de notre collègue Patrick MIGNOLA, président du groupe MoDem, la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse a transposé l’article 15 de la directive, trois mois après sa publication.
À la date de la publication du rapport d’information de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire le mois dernier, seuls neuf États membres avaient achevé le processus de transposition de la directive européenne.
L’Assemblée nationale n’a pas seulement transposé la directive dans des délais brefs : elle a confirmé son attachement à ce sujet, en créant en juillet 2021 une mission d’information sur l’application du droit voisin au bénéfice des agences, des éditeurs et professionnels du secteur de la presse, à l’initiative de la conférence des présidents.
Cette mission d’information a été présidée par Virginie DUBY-MULLER et rapportée par Laurent GARCIA. La publication du rapport a été autorisée à l’unanimité, le 12 janvier dernier. Je salue le travail de la mission d’information de l’Assemblée nationale, qui a examiné l’application concrète de la loi, conformément au rôle constitutionnel d’évaluation des politiques publiques confié au Parlement.
Le rapport d’information est sévère sur l’application du droit voisin au bénéfice du secteur de la presse. Il relève que le nombre d’accords de rémunération est tout à fait marginal et que l’intention du législateur n’a pas été respectée.
Les éditeurs et les agences de presse n’ont pas les moyens d’une coopération assainie avec les plateformes numériques, compte tenu du fonctionnement trop opaque de ces dernières.
En outre, rares sont les organes de presse à avoir perçu une rémunération au titre du droit voisin, le contenu des accords passés restant obscur.
Pourtant, les premiers accords signés par Facebook et Google montrent la voie vers la concrétisation d’un droit auquel aspire l’ensemble de la presse mondiale. La France est en cela pionnière et, de ce fait, observée et attendue. Les montants et les critères de rémunération seront surveillés car ils serviront de base aux discussions dans les autres pays, mais également pour les autres opérateurs du numérique présents en France, qui sont actuellement dans une position attentiste.
Les agences et éditeurs de presse français se structurent également dans la perspective des négociations à venir, avec la création de la société des Droits voisins de la presse (DVP) le 26 octobre dernier, présidée par Jean-Marie CAVADA. C’est une démarche heureuse et intelligente !
Je ne retracerai pas ici la chronologie contentieuse relative à l’application du droit voisin au secteur de la presse en France depuis 2019. Je rappellerai seulement que le 15 décembre dernier, Google a transmis à l’Autorité de la concurrence une proposition d’engagements visant à répondre aux préoccupations de concurrence. Ces propositions sont soumises à un test de marché pour déterminer si elles répondent de façon appropriée aux préoccupations de concurrence exprimées, avec une présentation des observations par les tiers intéressés qui était ouverte jusqu’au 31 janvier dernier.
Dans le respect des procédures en cours, le président de l’Autorité de la concurrence nous présentera les enjeux liés au droit voisin.
C’est dans la perspective d’une mise en œuvre concrète et véritable du droit voisin au bénéfice de la presse que s’inscrit ce colloque ; et cette concrétisation doit être garantie par une négociation de bonne foi entre les différents acteurs. C’est le rôle de l’Assemblée nationale de suivre l’application des lois et, le cas échéant, de proposer les évolutions législatives nécessaires.
L’approche transpartisane de la mission d’information de l’Assemblée nationale illustre l’accord politique large qui s’est dessiné en faveur de l’application du droit voisin au secteur de la presse.
Le rapport d’information formule des propositions fortes, qui pourront être discutées ce matin. Je pense par exemple à la publication de l’intégralité du contenu des accords entre les agences et éditeurs de presse et les plateformes numériques.
Les projets de règlements européens Digital Service Act (DSA) et Digital Market Act (DMA) pourraient également représenter un cadre propice à une meilleure régulation des plateformes numériques et à une meilleure protection de la presse en général.
Le rapport d’information envisage aussi le recours à l’arbitrage d’une autorité administrative indépendante, en suggérant de confier cette mission à l’ARCOM. Elle jouerait un rôle d’arbitrage en cas d’échec des négociations, avec un pouvoir d’injonction et de sanction.
Ce colloque a pour objet de cerner les défis qui restent à relever pour une application renforcée du droit voisin au secteur de la presse. Il doit permettre de formuler des propositions visant à faciliter l’application de ce droit, essentiel pour la presse et plus largement pour notre démocratie.
Faisons-en sorte que le travail des journalistes, des éditeurs et des agences de presse soit rémunéré à sa juste valeur, en intégrant pleinement les mutations technologiques et numériques.
Les usages et les modes de consommation de la presse évoluent, toutefois prenons garde à ce que ce ne soit pas aux dépens des artisans de la presse.
Dans cette optique et cet espoir, je vous souhaite, à toutes et tous, des échanges fructueux.
Je vous remercie.
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