Remise des prix de la 31e Journée du Livre Politique

Samedi 12 février

Salle Victor Hugo
Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,
Mesdames et messieurs les membres du jury,
Mesdames, messieurs, 

C’est avec plaisir que je prends la parole devant vous, conscient que beaucoup a déjà été dit, brillamment, et souvent avec gravité. Les hommages et les tables rondes ont suscité tout à la fois émotion et réflexion, et les travaux se prolongeront cet après-midi. Je crains d’ailleurs que l’heure appelle moins aux nourritures intellectuelles qu’aux nourritures terrestres, ce qui m’engage à un propos ramassé. 

Et comme vous le savez, chacun s’attend à ce que l’annonce d’un propos court anticipe des longueurs qui vont parfois jusqu’à la lassitude de l’auditoire. 

Je commencerai bien sûr par féliciter de vive voix, devant vous, les lauréats de cette 31e Journée du livre politique. En vous attribuant le prix des Députés et le prix du Livre politique, les jurys, je n’en doute pas, ont souhaité récompenser votre travail, mais aussi s’associer à vos avertissements.

Pour moi, vos livres sonnent comme des messages de ralliement et d’alarme. D’autres diraient, s’ils maniaient le paradoxe, que vous sonnez le tocsin ! Comme en écho, le thème de cette journée actualise la devise de la Première République : « Unité, Indivisibilité de la République ». 

L’ajout que lui apportèrent les Jacobins, « Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort ! », en traduit plus nettement encore l’urgence et l’intensité. Ce n’étaient pas des formules en l’air ni des vues de l’esprit. 

C’est sur le champ de bataille, au lendemain d’une victoire à Valmy, que la Révolution gagne la légitimité à abolir la monarchie et à installer la Première République, le 21 septembre 1792. 

Et la France, que la Convention dote de ce nouveau régime, n’est encore que l’agrégat hétéroclite de provinces, bailliages et sénéchaussées – les uns et les autres défendant, selon Sieyès, « leur esprit de corps, leurs privilèges, leurs prétentions, leurs jalousies »…

Toujours dans les termes de Sieyès, la République doit alors, pour se maintenir, construire « un grand Peuple régi par les mêmes Lois et dans les mêmes formes d’Administration ».

C’était il y a 230 ans. La République s’affirmait « une et indivisible » à un moment où le pays était morcelé au point qu’un Provençal ne comprenait pas un Breton et où les monarchies européennes, augmentées des émigrés, s’étaient coalisées pour la faire tomber. 

Je ne rappelle ce point de départ que pour remarquer que nous en avons gardé, sur l’unité de notre pays, de notre République, de notre nation, un sentiment d’urgence et d’inquiétude. 

L’attachement à notre unité s’exprime parfois positivement, dans les moments de concorde — car nous en connaissons, j’allais dire Dieu soit loué ! 

Il peut aussi s’exprimer négativement, lorsque nous ressentons la moindre différence entre nous comme une déchirure. Nous avons parfois l’hyperbole facile, avec une tendance à traiter d’ennemis de la République des citoyens qui pourtant respectent la loi commune. 

Cher Richard Malka, votre expression consistant à nous donner le droit d’emmerder Dieu a fait florès, y compris dans les bouches les plus élevées de la République. 

Quoique lecteur de Charlie Hebdo, et plus occasionnellement du Parisien, j’évite que retentisse sous des formes variées cet héritage sémantique de Cambronne dans l’hémicycle de notre Assemblée nationale.
Mais l’on voit bien la difficulté, j’allais donc dire, pour être à la mode, l’emmerdement, qu’il y a à essayer d’entrer paisiblement et rationnellement, et de préférence avec nuance et humanité, dans le débat qui voudrait que s’opposent indéfiniment la loi et la foi. 

Concéder que s’adonner à sa religion n’est pas incompatible avec les lois de la République peut nous faire passer pour un être complaisant vis-à-vis des atteintes aux valeurs de la République. À l’inverse, rappeler fermement les exigences de la loi et de nos valeurs est parfois pris comme la négation du libre exercice de la foi. 

La moindre dissonance nous met-elle vraiment en danger aujourd’hui ? La moindre brèche à l’unité est-elle encore une menace, voire une attaque ?  

Mais évidemment, comment garder cet esprit de nuance, cet esprit de tolérance quand nous envahit la révolte, la colère et le dégoût, face à des assassinats et à des actes terroristes qui s’affiche comme des actes de foi ? 
Malgré la souffrance et la peur, infligée aux victimes et à tous les citoyens, je veux garder la vigilance heureuse et la République joyeuse. 

L’histoire nous apprend que l’humanisme qui nous habite, parce que nous vivons dans une République démocratique, nous évite les pièges dans lesquels voudraient nous attirer par la terreur les idéologies totalisantes et univoques du monde et de la vie humaine. 

Le pluralisme est un sport de combat autant que la nuance n’est pas une danse de salon. Permettez-moi de vous dire, pour l’anecdote, combien je suis surpris de passer parfois dans ma région d’élection, la Bretagne, pour un affreux Jacobin, tandis qu’il m’arrive, plus qu’à mon tour, d’être compris à Paris comme un dangereux régionaliste. 

Comme aurait pu dire M. Malka, nul n’est prophète en son pays. 

Mesdames, Messieurs, l’histoire de la République est longue.

Et ce fut par un patient exercice d’assouplissement du modèle jacobin que la République s’est enracinée, en prenant appui sur des particularités locales.

Le paradoxe d’une liberté née dans l’adhésion obligatoire a trouvé, progressivement, sa résolution, en laissant chaque génération trouver les accommodements adéquats avec ses conditions historiques propres. 

À la vérité, c’est dans l’œuvre, l’histoire et la personnalité de Mona Ozouf qu’il me paraît nécessaire d’apprendre à aimer notre Composition française. 

Mona Ozouf résume cette tension dans les définitions antithétiques que Julien Benda, d’une part, et Albert Thibaudet d’autre part, donnent de l’unité nationale. Je la cite : 
« La France de Benda est un produit de la raison, non de l’histoire. (…) Une nation dont la simplicité puissante, obtenue par l’éradication des différences, unit toutes les communautés sous les plis du drapeau. La France est alors la diversité vaincue.
« De l’autre côté, [pour] Thibaudet, la France, ni civique ni politique, est (…) concrète et non abstraite ; profuse et non pas simple ; faite de l’épaisseur vivante de ses terroirs, de ses paysages, de ses villages, de ses langues, des mille façons de vivre et de mourir (…). La France, cette fois, c’est la diversité assumée. »

Le temps a montré que la République pouvait fort bien admettre des statuts spéciaux là où l’histoire et la géographie le justifiaient. 

L’expérimentation sur une base locale est devenue un droit, les métropoles sont organisées sur une autre base que les petites communes et les Outre-mer ont obtenu la reconnaissance de leurs spécificités. Le Concordat reste en vigueur en Alsace-Moselle, la Corse a une Assemblée et non un conseil régional, sans pour autant que le pacte social se trouve rompu, puisque ces aménagements réalistes sont prévus et encadrés, précisément, par la loi.

La République n’est pas qu’une idée, c’est aussi un être temporel, historique, qui peut changer de forme sans se renier. Nous pouvons affirmer l’unité de la République, tout en modifiant profondément la Loi fondamentale qu’est sa Constitution. Depuis deux siècles, la République a connu bien des organisations, présidentielle ou parlementaire, oscillant entre la pensée libérale des droits et celle autoritaire des devoirs collectifs. La République est finalement une synthèse entre l’idéal et le réel, ce qui explique d’ailleurs sa longévité. 

L’indivisibilité n’est donc pas l’uniformité, notre République peut rester unie dans sa diversité, comme le proclame d’ailleurs l’Union européenne.

Plus encore, je voudrais souligner que notre diversité peut aussi être la source de notre puissance collective. C’est ainsi que j’interprète l’intuition qui faisait déclarer au Président Mitterrand, en juillet 1981 : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. »

Dans la parole de François Mitterrand j’entends aussi une alarme. La République peut en effet s’affaiblir si, dans notre passion de l’unité, nous la transformons à tout bout de champ en argument d’autorité contre la diversité et le pluralisme.

Très modestement, je m’en tiendrai donc à la définition selon laquelle la République est une et indivisible dans la mesure où la loi qui s’impose à tous ne peut être que l’expression des représentants du peuple souverain ou le résultat d’un référendum. 
Et que cette loi, adoptée démocratiquement, répond à l’invitation d’Albert Camus de ne pas être la seule loi de la majorité, mais aussi la protection de la minorité.

Dans les travées de l’hémicycle s’exerce tous les jours cette articulation du local et du national, du particulier et du général, du passé et de l’avenir. 

Depuis des décennies, l’activité parlementaire l’atteste : oui, on peut défendre l’unité de la République sans cultive la nostalgie du jacobinisme, mis à bas depuis Thermidor et sans chérir les petites vertus supposées du centralisme fût-il démocratique, sans que tout particularisme ne vienne justifier, à l’inverse, une exception à la règle. 

L’unité de la République ? C’est d’être passionnément attaché à l’universel et de se battre tous les jours pour le droit absolu des vivants à s’affranchir du passé, à inventer leurs propres chemins d’avenir, ensemble ! 

Et s’il devait exister un prix posthume du livre politique, j’aurais milité pour l’attribuer au rapport n°2032 de la Huitième législature, fait au nom de la Commission relative à la séparation des Églises et de l’État, et à la dénonciation du Concordat, présenté par Aristide Briand.

Non seulement il a posé un acte fondamental dans l’équilibre républicain, mais sa lecture montre que la culture, le dialogue, la discussion, et l’esprit de nuance peuvent nous sortir, par le haut, de tous les emmerdements !

Je vous remercie.

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