Ouverture de la Matinale de l’économie de l’Assemblée nationale et remise des prix AFSE

Jeudi 16 mai

« Agir pour le climat: c'est maintenant »
Hôtel de Lassay
Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,
Monsieur le Président de la Fondation Nicolas-Hulot, cher Alain Grandjean,
Mesdames et messieurs les membres du jury,
Mesdames, messieurs,

C’est un plaisir, mais aussi un honneur pour moi d’ouvrir cette Matinale de l’économie, qui rassemble des personnalités aussi expertes sur le problème central, capital, du changement climatique.

Le climat, beaucoup en parlent, et c’est bien normal ; mais tout le monde n’a pas les compétences pour en parler à bon escient, c’est-à-dire pour évoquer les actions qu’il est maintenant urgent d’entreprendre afin de sauvegarder les équilibres de notre planète et, singulièrement, la biodiversité.

Car j’observe que le débat n’est plus entre climatologues et climatosceptiques : il s’est d’ores et déjà porté sur l’urgence d’une transition énergétique. La question est : « Comment faire ? » et ce n’est pas une question mineure. 

Ainsi, le climat fait maintenant partie de ces grands enjeux politiques, au sens noble du terme, enjeux pour lesquels on a peu de certitudes, mais de réelles convictions.

Parmi les rares certitudes, nous avons le rapport du GIEC sur le changement climatique et maintenant celui de l’IPBES[1] sur l’érosion massive de la biodiversité.

Ces rapports ont avant tout la force du constat.Les faits sont établis, les grandes causalités aussi. Les conséquences de l’action de l’Homme sur son environnement sont avérées, leur ordre de grandeur fait l’objet d’un consensus scientifique mondial.

La raréfaction des oiseaux, la longueur des épisodes caniculaires ou la fréquence des tempêtes : autant de signes simples, que chacun peut détecter à son échelle. Nos compatriotes sont, dans leur immense majorité, informés, alertés, alarmés, convaincus. Les plus jeunes encore plus que leurs aînés, comme ils l’ont prouvé en manifestant, pacifiquement mais ardemment.

Or, la force du constat ne doit pas nous faire oublier que notre connaissance du phénomène repose sur la modélisation de systèmes incroyablement complexes.

Les phénomènes naturels sont complexes, comme le savent bien ceux qui étudient l’atmosphère terrestre, les dynamiques météorologiques ou la composition des sols. 

Mais vous êtes des économistes, et ce sont bien sûr les phénomènes humains qui vous intéressent en premier lieu. La science doit toujours bâtir des hypothèses, et celle qui veut que l’être humain soit rationnel est forte, pour ne pas dire audacieuse. Elle constitue aussi un parti-pris politique, au fondement même de notre système démocratique.

Or, même avec des humains rationnels, les interactions sont si nombreuses et diverses que la collectivité peut tout à fait devenir irrationnelle — en tout cas non-linéaire et imprévisible.

Ainsi, des solutions individuellement rationnelles peuvent conduire à la catastrophe : pour nous prémunir des îlots de chaleur urbains, nous allumons nos climatiseurs, qui aggravent précisément ces îlots de chaleur… Pour éviter les épizooties, nous avons eu tendance à utiliser de manière préventive et massive des antibiotiques vétérinaires, qui finissent par sélectionner les souches bactériennes les plus résistantes… Les exemples de ces « effets boomerang » ne manquent pas, hélas.

Nous le savons bien : notre mode de vie est rationnel, du moins au sens économique du terme, mais si le monde entier l’adoptait, deux planètes ne suffiraient pas à assouvir nos besoins ni à assimiler tous nos rejets.

Et les solutions collectives, optimales sur un point, peuvent se révéler très contestables sur un autre. Ainsi, le nucléaire limite excellemment les émissions de gaz à effet de serre et réduit la dépendance pétrolière, mais il pose ces problèmes redoutables que sont le traitement des déchets et le démantèlement des centrales vieillissantes.

De même, la voiture individuelle nous offre une liberté de mouvement à laquelle nous aurions peine à renoncer, mais je n’ai pas besoin d’énoncer tous ses défauts, de la congestion urbaine à l’insécurité routière, en passant par la fragmentation des biotopes et la pollution atmosphérique.

Enfin, certaines solutions peuvent sembler optimales à un moment donné, puis devenir problématiques à long terme. Des effets indésirables finissent par se révéler au fil des générations — ceux des perturbateurs endocriniens, par exemple.

Au cœur de ces problématiques, nous voyons que l’humain fait partie intégrante du système qu’il prétend comprendre, voire piloter. Il n’est ni au-dessus, ni à côté.

Nous sommes peut-être les seuls organismes à développer une pensée abstraite, parfois rationnelle, nous sommes peut-être l’espèce la plus susceptible de s’adapter à des contextes très différents : il n’empêche que nous sommes aussi le fruit d’une co-évolution avec les autres espèces, animales et végétales, sauvages ou domestiquées.

Cette évolution ne se limite d’ailleurs pas au biologique, elle est aussi culturelle. Souvenons-nous de nos livres d’enfant, pour mesurer l’importance des autres animaux dans la construction de notre psyché humaine. Le loup, l’agneau, le lion, le corbeau, mais aussi le blé, la vigne, les abeilles peuplent notre psychologie : ces autres vivants structurent notre vision du monde et de la société.

Cette complexité peut se révéler apaisante, quand on a le sentiment de retrouver ses racines, quand on se promène dans la nature et que nos souvenirs ressurgissent, au chant d’un oiseau, aux arômes de l’été.

À l’inverse, quand on se trouve dans un embouteillage, ce sont toujours les autres qui gênent. On ne réfléchit pas à sa propre contribution au problème global, mais à sa place dans la file. Au moment où nous devrions prendre conscience de la complexité du monde, notre mécontentement tend à la refouler.

On entend : « Pourquoi commencerais-je, moi, par faire un effort en changeant mes habitudes ? Pourquoi les pouvoirs publics ne se contentent-ils pas d’élargir la route ? Pourquoi, quand ils veulent l’élargir la route, perdent-ils tout ce temps et cet argent en études sur la faune et la flore ? Pourquoi nous font-ils payer tous ces impôts ? »

C’est vrai, cette complexité est bien exaspérante – mais il serait purement irresponsable de prétendre nous en exonérer.

Et c’est là que se noue, il me semble, la crise actuelle de la démocratie.

Soumis à l’injonction de « faire simple », de se concentrer sur un problème unique que résoudrait une solution unique, les élus ont beaucoup de mal à faire prévaloir la prise en compte de la complexité.

Quand le rapport Brundtland, en 1987, donna la définition du développement durable, celui « qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », il posa du même coup une question difficile à la démocratie : comment prendre en compte, dans la délibération, l’avis de générations qui ne sont pas encore nées ?

La préservation de l’environnement renouvelle des questionnements anciens sur la démocratie : qui peut participer à la délibération, à la décision ? Toutes les voix sont-elles à égalité ? Sur quoi et jusqu’où la décision publique peut-elle porter ? Ce sont des questions que nous devons avoir en tête, en particulier lorsque nous parlons de fiscalité environnementale.

Nous connaissons deux grands travers à la démocratie : la tyrannie de la majorité et le supermarché normatif.

Dans un cas, le choix majoritaire s’impose à tous, indépendamment des faits avérés, indépendamment d’autres légitimités.

Dans l’autre, chacun veut adapter la norme à ses aspirations propres.

Dans les deux cas, la notion même d’effort collectif est impensable. On se décharge de l’effort sur les autres.

Si nous évitons ces caricatures, la démocratie n’est plus un obstacle mais un chemin. L’effort collectif n’est pas hors de portée des sociétés démocratiques, bien au contraire. Mais il y a trois conditions, à mes yeux.

Premièrement, il faut que le sens de l’effort collectif soit compris.

Deuxièmement, il faut que l’effort soit partagé. C’est le principe même d’un effort collectif. Nous ne pouvons ignorer la passion française pour l’égalité, même si elle peut parfois dériver en jalousie. Les règles de répartition de l’effort doivent être exposées clairement, pour que tous nos concitoyens soient convaincus qu’il n’y a pas de passager clandestin. Il faut également faire la démonstration de leur cohérence.

Enfin, nous devons vite retrouver une normalité, c’est-à-dire faire en sorte que l’effort collectif cesse rapidement d’apparaître comme un effort. Un nouvel équilibre doit être trouvé. Ce qui était d’abord ressenti comme une limitation doit devenir une normalité heureuse. Faire du vélo. Télétravailler. Manger des légumes, et des légumes de saison. Habiter des appartements qui restent agréables quand il fait très froid et quand il fait très chaud… Nous devons valoriser cette normalité nouvelle.

Car je crois que nous pouvons imaginer un avenir dans lequel le climat et la biodiversité pourraient être stabilisés sans brimer l’humain.

Les outils que nous pouvons concevoir pour y parvenir ne doivent pas devenir des obstacles. De la taxe carbone à l’interdiction des pesticides, il nous faut réfléchir, imaginer, convaincre : c’est tout l’objet de cette Matinale à laquelle je vous remercie d’avoir bien voulu participer.

Accueillir un tel rendez-vous, c’est le rôle de l’Assemblée nationale telle que je la conçois :une institution qui fait appel aux compétences tout en mobilisant les consciences, pour légiférer dans le sens du bien commun.

Je souhaite donc que vos travaux soient fructueux. Vos tables rondes, vos échanges, contribueront à éclairer le législateur, pour le plus grand profit de notre démocratie parlementaire.

Je vous remercie.

[1] Sigle anglais pour : Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques.

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