Ouverture du colloque sur le 40e anniversaire de l’abolition de la peine de mort

Mercredi 15 septembre

 

Hôtel de Lassay
Seul le prononcé fait foi

Messieurs les ambassadeurs,

Messieurs les gardes des Sceaux, cher Éric Dupont-Moretti, cher Robert Badinter,

Monsieur le Premier Questeur, cher Florian Bachelier,

Mme la présidente de la commission des Lois, chère Yaël Braun-Pivet,

Mme la présidente de la commission Femmes, genre, famille et enfant de l’Assemblée nationale de République démocratique du Congo, Mme Christelle Vuanga,

Monsieur le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, cher Jean-Marie Burguburu,

Monsieur le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris,

Mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues,

Mesdames, messieurs,

Il y a quarante ans, le Parlement siégeait en session extraordinaire pour examiner la première grande réforme voulue par François Mitterrand : l’abolition de la peine de mort.

Le 17 septembre 1981, l’hémicycle était plein à craquer pour entendre le nouveau garde des Sceaux, Robert Badinter, prononcer son discours : un magnifique moment d’éloquence parlementaire qui est déjà entré dans l’histoire.

Et permettez-moi de tirer une petite fierté à l’idée que ce discours fameux, avant de retentir dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, a été préparé sous le ciel finistérien… C’était au mois d’août, au-dessus du port de Doëlan, sur la commune de Clohars-Carnoët : vous étiez dans la petite maison de Benoîte Groult et de Paul Guimard, que ce couple d’écrivains vous avait prêtée pour écrire au calme, loin des foules, dans la sérénité de l’été breton.

Une maison à votre image, monsieur le garde des Sceaux : simple et solide, élégante et sobre, offrant aux éléments ses murs de robuste granite. Victor Hugo aurait aimé ce séjour, face à l’Océan, lui qui ne dédaignait pas d’affronter seul l’immensité.

À son exemple, vous avez bravé l’immensité de la haine et du préjugé, vous avez secoué l’archaïsme de la mise à mort légale et, des années durant, à partir de l’affaire Buffet-Bontemps, en 1972, vous avez milité pour l’abolition.

On vous a calomnié, insulté, mais vous avez tenu bon. On vous a menacé, ainsi que votre famille, mais vous avez tenu bon. Une bombe fut même posée sur votre palier, mais vous avez tenu bon.

Belle leçon pour nous tous, hommes politiques, élus locaux et nationaux, de plus en plus souvent agressés pour nos opinions et pour nos votes. Vous avez tenu bon, parce que vous saviez que votre combat étai juste et que vous aviez décidé de le mener jusqu’au bout.

Dans ce combat, vous étiez fortifié par d’illustres prédécesseurs. Camus, et avant lui Hugo, et avant lui Beccaria qui, dès 1764, dans son grand traité Des Délits et des Peines, estimait qu’on pouvait rendre la justice sans avoir besoin de la torture ni de la peine de mort.

La France du dix-huitième siècle, la France des Lumières abolit la « question », c’est-à-dire la torture ; mais elle conserva la peine de mort.

On pourrait ironiser sur la Révolution, mais je voudrais d’un mot réhabiliter la mémoire d’un collègue, le député Guillotin. Il n’a jamais inventé la sinistre machine à laquelle on donna son nom par malice. Son propos était de rendre moins atroces et moins longues les mises à mort qui, sous l’Ancien Régime, prenaient la forme d’interminables supplices. La guillotine supplanta la roue, les cris duraient moins longtemps, mais le problème n’était pas résolu.

En 1795, après l’expérience de la Terreur, les représentants du peuple votèrent l’abolition de la peine de mort, mais « à la proclamation de la paix générale ». Autrement dit, aux calendes grecques : la guillotine demeura.

En 1848, les idées humanitaires progressèrent et la République, pour marquer sa différence avec celle de 1792, proclama l’abolition de la peine de mort en matière politique.

C’était trop peu pour le député Hugo qui, un 15 septembre justement, il y a 173 ans jour pour jour, réclama « l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort » devant l’Assemblée nationale.

Pour Victor Hugo, la peine de mort était « le signe spécial et éternel de la barbarie », mais il ne fut pas entendu : la peine de mort demeura en matière criminelle, et elle finit d’ailleurs par revenir, sous le Second Empire, et encore après la Commune, pour certains actes politiques.

En 1906, un espoir se fit jour avec l’élection à la présidence de la République d’Armand Fallières – l’un de ces avocats, monsieur le bâtonnier, qui ont bâti nos institutions démocratiques, par leur engagement, par leur recherche constante de contre-pouvoirs et d’équilibre politique.

Le chef de l’État, sous la Troisième République, n’avait guère qu’un rôle protocolaire de représentation ; mais il détenait le droit de grâce et Armand Fallières était un abolitionniste convaincu. Alors, il gracia, systématiquement, tous les condamnés à mort, signifiant par-là aux jurés que cette pénalité ne devait plus avoir cours dans la France républicaine.

Le gouvernement, la majorité le suivirent : Clemenceau, ministre de l’Intérieur et président du Conseil, était abolitionniste. Aristide Briand, garde des Sceaux, était abolitionniste. La majorité semblait l’être également puisqu’à l’occasion du débat budgétaire, elle supprima la ligne de crédits dévolue aux exécutions capitales ! Le bourreau se trouvait au chômage technique, mais cette abolition de fait, cette abolition par le bas ne pouvait satisfaire un républicain comme Clemenceau, qui voulut, en 1908, un débat législatif sur la question.

Ce fut un grand débat, ample, majestueux. Partisans de la peine de mort et abolitionnistes s’affrontèrent, non en s’invectivant, non en calomniant l’adversaire, mais à coups d’arguments.

Pour Maurice Barrès, favorable au maintien de la guillotine, les condamnés à morts suivaient une pente fatale, celle de criminels-nés, incapables de tout relèvement, pour ainsi dire extérieurs à l’humanité. Faisant siennes les thèses du criminologue Lombroso, l’orateur nationaliste voyait en eux « des dégénérés », qu’il fallait retrancher de la vie.

Alors, répondant à Barrès, ce fut Jaurès qui s’éleva, le grand Jaurès qui monta à la tribune pour dire qu’on ne pouvait appliquer à un individu « l’absolu de la peine », parce qu’on ne pouvait lui faire porter « l’absolu de la responsabilité ».

Outre le risque d’erreur judiciaire qu’il rappelait presque pour mémoire, Jaurès proclamait qu’il existe une « responsabilité sociale, même dans le crime », une responsabilité collective dans l’échec éducatif et social que constitue la délinquance. Une société qui tue est une société qui ne veut pas voir en face ses propres carences.

Ces grands débats, vous allez bientôt en entendre un aperçu, et je remercie Gilles Cohen d’avoir accepté de prêter sa voix aux grands orateurs de notre histoire parlementaire.

Avec eux la France, dès 1908, aurait pu, aurait dû abolir la peine de mort. Mais c’était aussi l’époque de la grande presse, qui s’empara d’un fait-divers atroce, le meurtre d’une fillette, pour vendre du papier en flattant l’instinct de mort des foules.

« L’affaire Soleilland » retourna l’opinion et, au moment du vote, l’abolitionnisme n’était plus majoritaire… Pour réformer, il faut certes des convictions, mais il faut aussi du courage et, en 1908 hélas, quelques députés en manquèrent. La guillotine demeura encore, faisant du pays des droits de l’Homme le dernier d’Europe occidentale à abolir la peine de mort.

Moins solennels, mais tout aussi importants, furent les multiples travaux, auditions, rapports, propositions de loi qui se succédèrent au fil du temps. C’est aussi cela, le travail parlementaire : une longue et humble quête pour se documenter, pour convaincre, pour emporter la décision. Des députés de gauche, mais aussi des démocrates-chrétiens, des gaullistes combattirent vigoureusement la peine de mort, comme Pierre Bas ou l’ancien résistant Eugène Claudius-Petit.

Il faut dire que la peine de mort, quoique maintenue, était devenue honteuse.

Au lieu de la place de Grève, devant l’hôtel de ville, où elle trônait à ses débuts, le gouvernement l’avait déplacée vers les quartiers périphériques, ou devant les prisons. En 1870, on supprima l’échafaud, rendant la guillotine moins visible, mais celle-ci demeurait, posée à même le sol.

Et comme les exécutions donnaient encore lieu à d’invraisemblables kermesses, en 1939 il fut décidé qu’elles cesseraient d’être publiques : ce fut dans la cour des prisons qu’on trancha des têtes, discrètement, hypocritement, et pour empêcher qu’on observe du haut des immeubles, qu’on photographie ou qu’on filme – car l’indécence allait jusque là –, il fallait recouvrir la cour d’un sinistre dais de tissu noir.

Ce fameux « dais noir », symbole de notre « honte commune », que vous ne vouliez plus voir, monsieur le garde des Sceaux, cher Robert Badinter : et grâce à vous en effet, grâce à François Mitterrand, grâce aux députés de 1981, nous ne le verrons plus.

La majorité de l’époque, la majorité de gauche vous soutint d’un bloc, mais il me semble important de rappeler que, parmi ceux qui votèrent l’abolition, le 18 septembre 1981, on comptait aussi 31 députés du centre et de la droite.

Parmi eux, Jacques Chirac, montrant ainsi que l’opposition se grandit toujours à approuver une grande réforme, et qui plus tard la paracheva en faisant en sorte de constitutionnaliser l’abolition.

Parmi les députés d’opposition qui approuvèrent le projet de loi, je veux aussi saluer Étienne Pinte, ici présent, qui a accepté de prendre la parole pour partager ses souvenirs et expliquer son vote.

Je l’en remercie, comme je remercie les autres intervenants :

Mme Aminata Niakate, présidente l’association Ensemble contre la Peine de mort (ECPM) ;

M. Olivier Cousi, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris ;

Monsieur Philippe Maurice, aujourd’hui chercheur à l’École des Hautes Études en sciences sociales, qui fut le dernier condamné à mort gracié par le président Mitterrand ;

Mme Christelle Vuanga, présidente de la commission Femmes, genre, famille et enfant de l’Assemblée nationale de République démocratique du Congo.

Et aussi la jeune Salsabila Lalienne, lauréate francilienne de la 5e édition du concours international d’affiches l’association Ensemble contre la Peine de mort (ECPM), « Dessine-moi l’abolition ».

Mes remerciements vont enfin à Robert Badinter, pour sa présence, pour son témoignage, et aussi pour le prêt de documents inestimables que vous pourrez voir sous vitrine : le discours dactylographié qu’il portait à la tribune, le 17 septembre 1981, est exposé sous vitrine tout près de nous, vous pourrez le voir dans la galerie voisine.

Il est bien de se souvenir, d’exposer, de rendre hommage : c’est une manière de montrer que les grands combats s’inscrivent dans la durée. C’est aussi le moyen de comprendre qu’ils sont sans fin, qu’ils continuent, qu’ils restent à livrer encore et toujours.

En France même, une étude récente montre que la moitié des Français demeurent favorables à la peine de mort ; c’est presque un progrès, puisqu’ils étaient 55 % l’an dernier.

Dans de nombreux pays, en outre, la peine de mort est encore une réalité. De nombreux condamnés attendent, dans les couloirs de la mort.

À l’intérieur comme à l’extérieur, il nous faut encore convaincre, défendre l’abolition, prouver que la peine de mort n’a jamais été dissuasive et qu’elle n’est que barbare.

C’est ce que fait l’association Ensemble contre la Peine de mort en militant pour l’abolition universelle ; c’est que vous faites, aujourd’hui encore, en tant que président d’honneur de cette association, cher Robert Badinter.

C’est aussi ce que font de nombreux députés, qui chaque jour œuvrent pour le respect des droits de l’Homme.

Le combat pour l’abolition n’est pas terminé, il reste d’actualité ; et je sais que telle est aussi la conviction de M. le garde des Sceaux et de Mme la présidente de la commission des Lois, à qui je donne successivement la parole.

 

 

 

 

 

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