"Les Français et l’Assemblée nationale : Perception du mandat et du travail des députés" - Restitution de l’enquête CSA

Mardi 23 novembre

Hôtel de Lassay
Seul le prononcé fait foi

Madame et messieurs les vice-présidents,

Madame et messieurs les questeurs,

Madame et Messieurs les présidents de groupe,

Mesdames et messieurs les députés, chers collègues,

Mesdames, messieurs,

Au moment de vous accueillir ici pour la restitution d’une grande enquête sur notre institution et notre mandat de député, permettez-moi de vous livrer d’abord un souvenir historique qui constitue aussi un enseignement.

Au début de l’année 1848, alors que s’achevait la construction de cette splendide galerie des Fêtes où nous nous réunissons aujourd’hui, siégeait dans l’hémicycle un député préoccupé, fort peu sensible aux ors et aux angelots dont se parait le Palais-Bourbon.

Un député que nous savons particulièrement lucide et clairvoyant : Alexis de Tocqueville, le penseur de la démocratie représentative, qui en observateur avisé qu’il était, tenta de mettre en garde ses collègues en déclarant, à la tribune, le 27 janvier 1848 : « Je crois que nous nous endormons sur un volcan. » Un mois plus tard, une révolution lui donnait raison.

Nous savons, depuis, que la représentation nationale n’a pas droit à l’endormissement, qu’elle doit au contraire se montrer vigilante et réactive, à l’image de notre nation. Le volcan français dort rarement, en effet. Toute notre histoire est faite de grondements sourds, éruptions, nuées ardentes, et dans notre pays un bon politique est d’abord un bon sismologue, attentif aux moindres trépidations du terrain

De ce point de vue, les dernières années ont été riches en alertes de magnitudes diverses. Mouvements protestataires, saccages de permanences, injures et violences contre les élus : un sentiment de malaise a envahi notre vie publique, minée par des commentaires tour à tour haineux ou désabusés sur les réseaux sociaux, sapée par des niveaux d’abstention sans précédent aux élections locales.

Ignorer ces réalités eût été irresponsable. Il fallait non seulement les regarder en face, mais aussi les analyser, les comprendre, en s’efforçant d’identifier les causes profondes de ce mal-être collectif.

« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire », affirmait déjà Jaurès. C’est dans cet esprit que j’ai voulu agir. C’est pour connaître la vérité, c’est pour pouvoir la dire, que j’ai souhaité une véritable investigation de fond : autrement dit, une enquête quantitative sur la façon dont les Français perçoivent aujourd’hui les députés et leur action. Cette enquête a été commandée par l’Assemblée nationale : le Collège des questeurs en a accepté les modalités, la Délégation à la communication de l’Assemblée en a travaillé le contenu. 

Je remercie ces différents organes de l’Assemblée d’avoir ainsi contribué à cette réflexion sur nos institutions.

En effet cette enquête, utile et précieuse, constitue un triple événement, par sa rareté, son ampleur et ses résultats.

Sa rareté d’abord, car il est exceptionnel qu’une institution parlementaire étudie la manière dont elle est globalement perçue par l’opinion.

J’ai d’ailleurs été le premier surpris de découvrir que le dernier travail de cette nature remontait à 1985, il y a donc trente-six ans ! En 1985, François Mitterrand était Président de la République, le Minitel semblait l’horizon ultime des technologies nouvelles et la décentralisation ne faisait que commencer. Le mur de Berlin tenait encore debout, le clivage droite-gauche divisait profondément les Français, l’Assemblée nationale ne comptait que 6 % de femmes et la loi de finances était libellée en francs. Un monde disparu, révolu, dans lequel on se demandait encore si « l’Europe des dix » pourrait s’élargir à l’Espagne et au Portugal…

En plus d’un tiers de siècle, tout a changé dans notre pays et dans le monde. Le bipolarisme a cessé de structurer la vie politique française, de nouvelles forces politiques ont fait leur apparition, de nouvelles revendications aussi.

L’Assemblée nationale s’est fortement renouvelée et féminisée, sur tous ses bancs.

Enfin, depuis le passage au quinquennat en 2002 et la révision constitutionnelle de 2008, nos institutions nationales elles-mêmes ont évolué, tandis qu’à l’échelon local, la décentralisation n’a cessé de s’approfondir, avec l’émergence des régions et plus récemment, la création des métropoles.

Dans ce contexte nouveau, il était indispensable de rafraîchir nos connaissances en mesurant les perceptions, les attentes et aussi les frustrations de nos concitoyens du XXIe siècle.

L’enquête conduite dans ce but est aussi un événement par son ampleur. Elle porte en effet sur un échantillon représentatif de 4 512 Françaises et Français âgés de 18 ans et plus, inscrits sur les listes électorales, ce qui est nettement plus large que dans les enquêtes d’opinion classiques.

Sur cette population en outre, on compte 3 508 Françaises et Français résidant en Métropole, sans oublier la Corse, mais aussi 1 004 habitants des départements et régions d’Outre-mer, traditionnellement laissés très injustement de côté dans les enquêtes.

Lors du traitement des résultats, bien sûr, chaque région a été remise à son poids réel dans la population française, afin de garantir la représentativité de l’enquête. Mais pour chaque région, métropolitaine ou ultramarine, l’échantillon a été constitué d'après la méthode des quotas, par sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle. Une attention spéciale a été portée à nos jeunes concitoyens de 18 à 24 ans, ainsi qu’aux Français peu ou pas diplômés.

Le travail a été réalisé par l’institut CSA, sur un questionnaire élaboré par l’Assemblée nationale, en partenariat avec la Fondation pour l’Innovation politique (Fondapol) et la Fondation Jean-Jaurès. Je remercie Madame Julie Gaillot qui nous présentera les résultats ainsi que GF et DR qui nous livreront leurs analyses.

L’expertise de ces deux fondations a également été requise pour l’analyse des résultats, qui eux aussi constituent un événement.

Sans surprise, ces résultats sont à première vue préoccupants.

Je laisserai l’institut CSA vous en faire une présentation détaillée, mais je veux dès maintenant vous donner, à titre d’exemples, quelques pourcentages qui doivent tous nous interpeller : ainsi, seulement 44 % des Français font confiance à l’Assemblée nationale, 40 % la jugent « peu utile » et 13 % « approuvent » les violences à l’encontre des élus…

Pourtant, une analyse plus fine des réponses nous donne des motifs d’espérance et des pistes pour l’action.

Nous les découvrirons ensemble.

Et surtout les Françaises et les Français, si sévères pour l’institution parlementaire en général, se montrent bien plus mesurés quand il s’agit de leur député, qu’ils connaissent pour plus la moitié d’entre eux, qu’ils aimeraient connaître pour plus d’un quart, et dont ils attendent beaucoup.

J’observe enfin que sur l’ensemble des questions, seulement 1 % des personnes interrogées se déclare sans opinion. Tout le monde ou presque se prononce sur le sujet crucial de la citoyenneté et, si presque la moitié des sondés affirme ne pas s’intéresser à la politique, chacun veut tout de même faire entendre son avis et ses revendications.

De là des résultats qui peuvent surprendre, mais s’expliquent et me paraissent plus significatifs que contradictoires. Ainsi, paradoxalement, 70 % des Française et des Français veulent que leur député s’occupe d’abord des problèmes locaux, mais la même proportion semble ne pas souhaiter le cumul des mandats.

Je laisse les experts nous donner leurs grilles d’analyse et nous fournir les clefs d’explication dont nous avons besoin. À première vue, pour ma part, je discerne parmi les plus vulnérables de nos compatriotes un fort sentiment d’abandon, ainsi qu’un faible degré d’information sur la réalité du travail parlementaire. Deux griefs qui sans doute se nourrissent l’un l’autre, car plus on se sent abandonné, moins l’on s’informe ; et moins l’on est informé, plus on se croit délaissé.

J’ai conscience que cette enquête pourra aussi semer un certain désarroi parmi nous députés. Ce sentiment de malaise et d’injustice, je le ressens moi-même parfois : tout ce temps, tout ce travail, tant de nuits blanches, de réunions, de déplacements entre Paris et la circonscription pour découvrir que le député est passé derrière le maire dans le classement des élus préférés des Français, ou que 63 % des électeurs croient qu’ils n’intéressent plus la représentation nationale…

Toute cela nous donne l’idée des défis que nous devons relever ensemble pour notre République et notre démocratie.

Mais justement parce que nous sommes la représentation nationale, nous ne sommes pas ici pour nous apitoyer sur notre sort. Nous avons le devoir d’agir, pour rassurer et convaincre nos concitoyens, pour renforcer l’unité de la nation, pour consolider les liens de confiance sans lesquels il n’est pas de démocratie possible.

Le vieil antiparlementarisme idéologique n’est pas mort, mais il demeure groupusculaire. La dominante, c’est plutôt une incompréhension, une méconnaissance profonde du rôle de l’Assemblée nationale et du travail accompli par les députés. Au fond les Français ne rejettent pas l’action parlementaire, ils en veulent plus, au plus près d’eux-mêmes et de leurs préoccupations : à nous d’entendre leur appel et d’agir en conséquence.

Car ce travail d’enquête qui a été mené, depuis le début a été conçu pour être opérationnel : il ne s’agissait pas seulement de mettre à jour nos connaissances, mais aussi et surtout d’identifier les points sur lesquels agir pour renouer le lien de confiance entre les électeurs et leurs représentants.

La France est une grande démocratie et doit le rester : les doutes qui taraudent une large fraction des Français doivent être pris en compte pour fonder un programme d’action. Voir la réalité en face, répondre aux attentes des Français, continuer à rénover notre fonctionnement institutionnel et notre politique de communication : c’est cela, le courage politique.

Pour que nous puissions agir à bon escient, je vais bientôt donner la parole à Julie Gaillot, qui va vous détailler les résultats de l’étude. Ensuite s’exprimeront Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean Jaurès et Dominique Reynié, président de la Fondapol, qui nous livreront leurs analyses et leurs recommandations : je vous demande de bien vouloir les écouter avec la plus grande attention, car cette journée de restitution n’est pas un aboutissement, mais un commencement.

Après leur exposé, nos intervenants se tiendront à votre disposition pour répondre aux questions que vous souhaiteriez poser.

Mes chers collègues, mesdames, messieurs, j’ai évoqué Alexis de Tocqueville au début de mon propos, je l’invoquerai pour conclure.

« En politique, disait-il, ce qu'il y a souvent de plus difficile à apprécier et à comprendre, c'est ce qui se passe sous nos yeux. » Pourtant, Tocqueville n’était ni pessimiste ni fataliste et il ajoutait ceci : « Il y a plus de lumière et de sagesse dans beaucoup d’hommes réunis que dans un seul. »

Oui, comme nous y encourage Tocqueville, c’est à un travail collectif d’analyse et de réflexion que je vous invite, pour partir à la reconquête de la citoyenneté, pour fortifier notre démocratie représentative. Je formule d’ailleurs le vœu, que nous n’attendions pas à nouveau 35 ans, soit 2056 pour actualiser cette étude ! La Délégation à la communication avait proposé de reposer ces questions aux Français tous les deux ans, je transmettrai cet héritage à nos successeurs.

Dans cet effort qui est devant nous, je compte sur vous, sur vos idées, sur votre engagement, ici et sur le terrain.

Car nous sommes, nous députés, fiers de ce que nous accomplissons –  tout comme je suis fier, en vous présentant cette enquête, de lancer le combat contre le scepticisme, pour revivifier les liens entre les citoyens et leurs représentants.

Je vous remercie.

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